Réalités
En 1946, Didier Rémon et Hubert Frèrejean décident de créer une revue qui proposerait aux Français, sevrés d’informations fiables pendant les quatre ans d’occupation, une ouverture sur l’extérieur qui soit objective, positive et de qualité.
Ainsi est né Réalités, qui va devenir un mensuel illustrant la période des « Trente Glorieuses ». Novateur et influent, il va marquer le monde de la presse magazine grâce à la recherche esthétique dans la mise en page et à la place accordée aux photographies de qualités.
Les raisons de son succès tiennent également au choix des sujets, à son sens de la prospective, de l’écriture privilégiant la description et à l’originalité de la couverture. Le but étant de proposer au lecteur des informations, des témoignages, des reportages afin de lui permettre de forger son jugement. Chaque numéro alterne subtilement entre des sujets graves et d’autres plus légers, privilégiant la découverte des villes étrangères et de régions françaises, les sujets de société et les débats d’idées. Une importance est également donnée à la couverture qui attire l’œil en jouant sur les effets de surprise, les mystères, l’émerveillement mais jamais sur l’effroi ou la douleur.
La large place accordée aux photographies va permettre de construire la renommée du magazine. Pour cela les photographes sont envoyés aux quatre coins de la planète afin de ramener les plus belles images et faire voyager le lecteur. Dans chaque numéro de la revue, on dénombre une soixantaine de photographies, principalement en noir et blanc, la couleur arrivant progressivement au fil des ans. Plusieurs genres cohabitent mais le genre dominant est la photographie humaniste.
Les photographes deviennent des salariés, ils peuvent se concentrer à temps plein sur leurs reportages, la revue dépensant sans compter pour leurs frais. Edouard Boubat évoque ainsi son passage au sein de Réalités: «Ce qui était beau, et très formateur, pour nous, vraiment passionnant, c’est que l’on ne vous envoyait pas forcément sur les points «chauds» du globe. On allait parfois là où il ne se passait rien. Et rien de tel pour saisir et comprendre vraiment alors la réalité d’un pays, d’une situation. Echapper à l’actualité, ou à ce que l’on nomme l’actualité, et qui est bien souvent un rideau de fumée tragique qui dissimule le réel profond, c’est une chance.» (Anne de Mondenard, Michel Guerrin. Réalités: un mensuel français illustré (1946-1978), p.81)
Parmi les principaux photographes ayant collaboré régulièrement au mensuel: Edouard Boubat, Jean-Philippe Charbonnier, Michel Desjardins, Jean-Louis Swiners, Frank Horvat, Gilles Ehrmann… et dans une moindre mesure: Henri Cartier-Bresson, William Klein, Richard Avedon, Irving Penn, Robert Doisneau…
N’ayant pas réussi à saisir et comprendre les bouleversements induits par 1968, Réalités est devenu aux yeux des publicitaires une revue «bourgeoise et ringarde», faisant fondre les recettes de publicité. « Nous n’avons pas compris que les choses avaient changé, nous ne répondions plus aux besoins » (Didier Rémon, ibid.). Le magazine cessera de paraître en décembre 1978 avec le numéro 390, et est alors absorbé par Le Spectacle du Monde.
« La télévision nous a tués et a pris notre place, d’autant que c’est la télévision qui nous a incités à passer la revue en couleurs, alors que le coût était exorbitant » (Didier Rémon, ibid.)
« La télévision a tué ces magazines en images, comme l’informatique tuera demain les quotidiens » (André Fontaine, ibid.)
Historique
Janvier 1946: création de la revue Réalités par Didier Rémon (1922) et Hubert Frèrejean (1914-2001).
Nomination d’Alfred Max comme rédacteur en chef et Alfred Brandler comme directeur artistique.
Novembre 1946: Didier Rémon crée la Société d’études et de publications économiques (SEPE) qui permettra d’inscrire Réalité dans un groupe de presse et d’édition.
1947: Lancement de Réalités littéraires, qui propose des pièces de théâtres, des romans, ou des documents d’actualité. 32 numéros paraîtront jusqu’en 1949.
1949: La photographie remplace le dessin en couverture
1949: Lancement des versions américaine et anglaise de Réalités
Octobre 1950: Alfred Brandler quitte son poste de directeur artistique. Il est remplacé par Albert Gilou.
Ce dernier va créer une équipe de photographes salariés, parmi lesquels Jean-Philippe Charbonnier et Edouard Boubat.
1952: lancement de Connaissance des arts, revue spécialisée sur l’art.
1953: lancement d’Entreprise, bimensuel spécialisée sur l’économie des affaires.
1955: création d’un service photographique géré par Odette Fasquelle jusqu’en 1960. Lily le Roux la remplace par la suite jusqu’en 1970.
1956: rachat de la revue Femina-Illustration.
1958: rachat de Benjamin, revue destinée aux 13-15 ans, rebaptisée Top-Réalités Jeunesse. C’est l’hebdomadaire «des enfants qui ne sont plus des enfants».
1960: Partenariat entre Hachette et la SEPE. Didier Rémon cède la totalité du capital du groupe afin d’associer l’édition à un groupe puissant.
Juin 1961: Départ d’Albert Gilou. Son poste de directeur artistique restera vacant jusqu’en juillet 1963, date de la nomination de Jacques Dumons.
1964: Lancement d’une édition de Réalités réservée au corps médical.
1965: Jacques Dumons part, il est remplacé par Nicolas Fassbind. Ce dernier va modifier en profondeur la revue:
réduction du format, révision de la maquette en donnant moins de place aux images, et passage au tout-couleur.
1968: création du trimestriel Connaissance de la campagne.
1969: création du trimestriel Connaissance de la mer. Départ de Jacques Dumons. A partir de cette date, les directeurs artistiques se succéderont: Michel Schefer, Pierre Boutillier, Jean-Claude Maillart, Jean-Pierre Montagne et Claude Maggiori.
1970: lancement de la revue intellectuelle Preuves. Le service photographique (créé en 1955) devient une agence à part entière, Agence Top (du même nom que la revue pour adolescents), qui gère l’archivage et la diffusion des négatifs, des planches-contacts et des diapositives, et qui rejoint la Fédération des agences de presse.
1971: lancement de l’édition japonaise de Réalités.
1973: disparition des revues Connaissance de la mer et Connaissance de la campagne.
1974: départ d’Alfred Max, Didier Rémon et Hubert Frèrejean. Hachette démantèle le groupe. Fin de l’édition américaine de Réalités. La revue Preuves est vendue et devient Autrement.
1975: la revue Entreprise est cédée, et renaîtra sous la forme du Nouvel Économiste. L’agence Rapho achète le fonds photographique de l’agence Top. La collection complète de la revue, ainsi que les photographies, planches-contacts, négatifs et diapositives sont conservés au sein de cette agence.
1976: la revue Connaissance des arts est vendue à la Société française de promotion artistique et fusionnera avec Plaisir de France.
Didier Rémon rachète le titre Réalités. Il cumule les fonctions de directeur et rédacteur en chef et tente de faire revivre la revue.
1978: Didier Rémon, criblé de dettes, décide que le numéro 390 de décembre 1978 sera le dernier.
Réalités est alors absorbé par Le Spectacle du Monde, mensuel créé en 1962 par Raymond Bourgine, également fondateur de Valeurs Actuelles en 1966.
Pour en savoir plus
- Anne de Mondenard et Michel Guerrin. Réalités: un mensuel français illustré (1946-1978). Editions Actes Sud, 2008. (Contient notamment un index des photographes publiés dans Réalités de février 1946 à décembre 1964)
- Jean-Louis Gazignaire. « Réalités: un titre que l’on voit surtout chez les gens fortunés mais qui compte cependant 100.000 abonnés« . Presse Actualité n°50, Avril-mai 1969
- Olivier Jay. « La compagnie française de journaux: Valeurs Actuelles et Le Spectacle du Monde. » Presse Actualité n°132, décembre 1978
- «Réalités: Un mensuel illustré des Trente Glorieuses.» Maison européenne de la photographie, 2008
- Jean-Philippe Charbonnier. Un photographe vous parle. Grasset, 1961
L’ESJ-Lille détient une importante collection d’archives du mensuel Réalités, dont on pourra consulter une sélection de couvertures et d’articles sur Pinterest.
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